Les bourgeois de la Havane

La rengaine du dimanche reprend au 4 rue Georges Villebois Mareuil.
Monsieur Crouan vêtu de sa favorite tenue casual-chic sort de sa demeure un mocaccino à la main.
De coutume, il rencontre Monsieur Rivière, héritier de la famille voisine.
Ils échangent de la semaine passée, de leurs réussites respectives.
Entre actualités cardiaques et dentaires les sujets de discussion ne manquent pas.

Aujourd’hui il peut enfin pouponner sa propriété.
Son activité dominicale favorite débute méticuleusement par la taille des rosiers de sa femme,
puis quelque coups de peinture.
Blanc Ivoire sur le bow-window et sur la ferronnerie ouvragée du portail,
Rouge Garance en touches partielles entre les pierres du chaînage d’angle.

Il n’a pas été aussi audacieux que son voisin d’en face.
D’ailleurs il ne sait pas quoi penser de cette mode de repeindre l’entièreté de sa façade.
Ce pédant Monsieur Ravache devenu Bleu Azur lui a pourtant expliqué que c’était dans l’air du temps,
que cette identité particulière du quartier était plus jeune, plus moderne et plus balnéaire surtout.
Monsieur Crouan reste dubitatif, mais dans un souci d’intégrité lui aussi a cédé.

Il se demande ce qu’aurait pensé l’aïeul de tout cela.
Il se rassure en songeant que finalement la villa reste fidèle à ce qu’elle a toujours été.
Elle évoque toujours le Sud avec sa toiture de tuiles, sa charpente en bois peint surmontant la baie reste la même,
la pierre ne perd pas son toucher rugueux et l’illustre vue sur mer n’a pas bougé
(si l’on pense toutefois à bien se positionner à l’angle droit du jardinet, derrière les vélos
et que l’on se baisse légèrement pour voir sous le pin de Monsieur Rochais).

L’entretien de ce bien familial est une règle d’or dans la dynastie des armateurs Crouan.
Il sait que sa maison n’est pas la plus belle, ni la plus impressionnante.
Elle n’est ni de style baroque ni d’art nouveau, elle n’a pas d’oeil de boeuf ni d’accolade.
Mais elle est impeccable, d’un entretien irréprochable,
comme se doit de l’être chaque maison rue de Georges Villebois Mareuil dans le quartier de la Havane.

Aujourd’hui et comme tous les matins, Monsieur Crouan est fier et satisfait.
Son image dans la ville est assurée.