Quartier de la Havane: Le retraité de l’agence de l’urbanisme

« Ici c’est le seul point associatif du quartier. Mais posons-nous la question si les habitants sont demandeurs de plus ? C’est quand même une population assez aisée par rapport au reste de la ville, je ne suis pas sûr qu’elle cherche à se rencontrer ailleurs que chez-soi. Ce n’est pas qu’elle soit vieillissante, puisque dès qu’une maison se vend, en deux jours elle est réhabitée par une famille plus jeune avec enfants. Mais c’est pas un mouvement rapide c’est vrai. Il faudrait que le mouvement de mixité sociale s’accélère. Entre le bas de la rue de Pornichet et le haut il y a déjà une nuance. Entre les villas individuelles, les logements collectifs, ou même les maisons individuelles plus simples. C’est un début de mixité. »

 » Ce front de mer est en effet une partie oubliée de l’identité nazairienne, l’erreur est de ne pas se sentir au bord de l’eau dans le quartier. C’est pourtant ce qui fait image, mais la ville ne raconte plus cette histoire-là. On pourrait s’appuyer sur l’exotisme, sur le balnéaire, sur l’architecture pour signifier cette proximité. C’est à l’échelle de la ville qu’il faut penser cette mise en ambiance. Dans cet esprit-là j’avais proposé de planter des palmiers, pour mettre en lien la porte du centre-ville donc la mairie, jusqu’au front de mer et le Jardin des Plantes. Le palmier représente l’exotisme des traversées transatlantiques et évoque l’atmosphère balnéaire. C’est à partir de petites choses comme ça que l’on peut construire un paysage. »

 » On sent bien que quand un promoteur achète ça, cette clinique par exemple, sachant qu’il y a eu de la radioactivité ici, donc une dépollution nécessaire, il va acheter sans grignoter sa marge. Il va faire du logement pour être rentable, avec une densité forte. Là on se pose la question de la réelle pertinence de mutation et du projet en soit. Mais je suis pas sur que la ville soit descendue à ce niveau d’intérêt pour cet ilot-là. Alors qu’il faudrait être réactif tout le temps, surtout lorsqu’il s’agit de telles opportunités foncières dans des quartiers où le renouvellement urbain est si important, favorisant la dynamique du front de mer. »

 » Donc là tout ce foncier c’était un ancien collège, primaire et maternelle, qui a donc été rasé et transformé en petit collectif début des années 1990. Là-bas en arrière-plan c’est un foyer logement pour personnes âgées qui est en pleine rénovation également. A droite il y a plus une connotation balnéaire, une architecture navale qui essaie de reprendre le langage maritime dans son jeu de façade et de matériaux. Moi je trouve qu’il a fière allure celui-là, après est-ce qu’il s’intègre avec son environnent ça c’est autre chose mais il faut savoir ce qu’on veut, est-ce qu’on veut une évolution et quelle évolution ? Si on dit on fige, on fige d’accord mais donc pas de densification, on restait sur les constructions du XIX début XXe. »

« C’est un projet dont je m’occupais. L’idée c’était d’avoir une perspective depuis le niveau de la mairie, de cadrer une vue. Ça voulait dire raser le garage juste là aussi évidemment mais vous avez bien vu qu’à Saint Nazaire les garages, c’est sacré. Donc ils ont juste coupé le nez du projet en laissant un semblant de place qui ne ressemble qu’à un parking aujourd’hui. Pour me faire plaisir ils ont planté un palmier mais on n’est pas du tout dans cette idée de perspective. Chaque rue qui permet une perspective et pourrait amener les gens vers la mer il faut y aller! Essayer de commencer à raconter une histoire, un parcours! Ici sans ces trois petits garages gadget on sent qu’il y a une articulation entre le centre-ville, la mairie et la mer. D’ici on peut presque voir les deux. »

« C’est un exemple d’îlot qui a déjà été modifié, parce qu’on voit bien l’ancienne clinique avec cette belle façade rue de Pornichet. Mais à l’intérieur un peu plus loin c’est un autre bout de clinique plus récent datant des années 60, et puis là encore une autre partie de la clinique. C’est un ensemble de trois bâtiments d’époques et styles différents qui forment un ilot complexe d’une surface très importante. Il y a longtemps que tout le monde sait que cet îlot va muter et personne n’est intervenu pour l’acheter quand elle a été mise en vente. Mais on peut imaginer que cet îlot là deviendra l’exemple d’une mutation nouvelle pour le quartier. C’est là que la collectivité peut se poser la question de l’évolution de toute cette zone. »

« Alors on voit bien ici qu’on est sur la crète du quartier et qu’on n’a pas les mêmes perceptions quand on est d’un côté ou de l’autre de la rue de Pornichet. Ici ça marche tout seul, la relation avec l’eau, on la voit on la ressent. Par contre quand on est en haut de la rue au bout là-bas, c’est plus aussi évident. Donc peut être au travers d’aménagements d’espaces publics on pourrait marquer ce cheminement et de faire reconnaitre que cette épaisseur est vraiment à côté de la mer. »

« C’est fou ça par exemple! Complètement fou! Qu’est-ce que la ville attend ? Au lieu de la mettre aux enchères cette maison il faut la récupérer! Vous avez vu l’emplacement ? Face à la clinique qui va muter, à côté des prémices d’une place-articulation, en bout d’ilot, à l’angle de la rue Pornichet. Avec ces trois garages ridicules elle tient les rails d’une réflexion, d’une logique d’aménagement. Donc retraiter l’espace public c’est aussi avoir une réflexion sur la voiture, si on veut lui faire raconter une nouvelle histoire à ce quartier il faut prendre en compte que même s’ils ont tous un garage ici, la voiture ne rentre jamais dedans. Surtout que socialement parlant, ils ont même deux voitures. »

 » Ici il y a une trace du passé de St Nazaire qui exprime ce que pouvait être la ville avant-guerre, un verrou non rasé de maisons dites bourgeoises du XIXe. Donc entre ce patrimoine et l’hôtel de ville qui a été dressé en mur : la relation de l’hypercentre avec le front de mer n’est pas si évidente que ça. Même si depuis 2-3ans il y a eu l’aménagement de la rue Léon Blum, maintenant on arrive à lire quelque chose mais c’est juste un aménagement d’espace public qui ne tend pas encore assez cette relation. Le parcours entre les deux reste encore trop faible. Concernant l’hôtel de ville on peut se questionner aussi. D’ici on voit la façade arrière en perspective on sait que derrière c’est République. On a presque envie de passer en dessous non? »

« Alors les touches de couleur je sais pas s’il faut encadrer un peu ou si on laisse chacun faire selon ses envies et ses goûts. A la reconstruction l’administration imposait la couleur blanche pour tous les permis de construire, c’était blanc ou refus. Après ce qui était rigolo c’est que à l’époque y avait des volets en bois, les gars qui travaillaient aux chantiers ils ramenaient des pots de peinture et le weekend ils repeignaient leurs volets. C’est assez drôle de voir comment la ville s’est teintée au gré de la couleur de ses bateaux. Parce que sur les bateaux il n’y avait quasiment que des couleurs vives, donc les menuiseries des maisons d’époque le devenaient aussi. »

 » Il y a de quoi faire ici, on est une porte d’entrée privilégiée sur Saint-Marc et Pornichet quand on connait bien le territoire. Mais si on ne sait pas, et quand on laisse faire les choses par des gens qui ont des idées ponctuelles sans vision d’ensemble il se passera des choses mais d’une façon décousue. Il y a une réflexion à porter sur le devenir de ce territoire-là. Qu’est-ce qu’on veut ? Qu’est ce que les gens y feront ? Comment le percevront-ils ? Une fois qu’on a donné des grandes orientations et bien est-ce qu’il y a des activités à intégrer ou des commerces pour faire de l’animation ? Tout ça ne peut venir que si on a travaillé la globalité et que s’il y a densification. Et non simplement que pour du décor… »

« Avant il y avait des commerces ici, il y en a toujours eu en fait. Là c’était une boucherie,. Regardez le détail de la façade en mosaïque avec ce dessin de vache. Et puis à l’angle il y avait une superette. En fait il ne reste que la boulangerie et le bar tabac de l’angle de la Havane qui est parti Place des Pots Rouges puisque c’est plus grand. Historiquement c’est sur la rue de Pornichet qu’il y avait tout un tas de commerces, c’est le faubourg du quartier qui vivait uniquement des habitants qui profitaient du flux de cet axe principal. Tout a changé en parti à cause des zones commerciales. »

« L’architecture du XIXe, ses détails, ses petits jardins, ses couleurs, le nom des rues, il y a une ambiance qui va peut-être disparaitre au fur et à mesure d’une future densification. Il s’agirait d’encadrer pour non pas figer mais promouvoir cette image, la protéger. Ici c’est confidentiel, les gens qui habitent ici connaissent mais ça ne va pas au-delà. Maintenant avec l’aménagement du front de mer les gens passent plus devant les façades des hôtels privés du XIXe, ça attise la curiosité de certains passants qui viennent voir le quartier en remontant ces rues-là. Ça reste très peu. Il y a peut-être un plan de circulation à faire à cette échelle-là, il y a pleins de questions à soulever, à débattre. »

 » Ce patrimoine de la reconstruction, j’allais dire je n’irai pas l’acheter, mais presque. C’est des bâtiments pas isolés. Pour résoudre ce problème phonique il faudrait tout raser : impossible. C’est un débat le patrimoine. Il faut dire aux gens puristes qui veulent tout conserver: voilà ce que ça engendre et si on l’est moins voilà ce qu’on en tire. C’est trop souvent un affrontement , c’est pour ça qu’on n’avance pas. Avec en plus tous les problèmes des copropriétés qui sont très compliqués à résoudre. Des propriétaires peuvent louer n’importe quoi depuis la reconstruction. Ou d’autres ne louent pas depuis des années, c’est à se demander s’ils ont besoin d’argent, parce que si c’était le cas ils auraient baissé le prix de leur loyer. »

 » Voilà l’arrière du décor et donc ce que Saint Nazaire présente dans les cœurs d’îlots comme ici : des batteries de garages. Des cœurs d’îlots plantés ce serait quand même bien plus qualitatif! C’est fou cette histoire de garage, c’est aussi pour ça que les choses sont difficiles à bouger. Il y a toujours un petit propriétaire qui généralement n’habite pas là mais garde son garage, fier de le transmettre au fil du temps sans se rendre compte de son impact urbain. Cette thématique des cœurs d’îlots est terrible à Saint Nazaire. Il n’y a aucune gestion! On voit bien que si la puissance publique ne montre pas par des exemples ce vers quoi elle veut tendre, son objectif, rien ne peut se passer. Il faut absolument donner l’impulsion. »

 » Là une belle perspective! Mais la consistance en matière de végétal elle est quand même… Avant y’avait trop d’arbres, trop proches des façades. Ils auraient dû être mis au milieu comme la nouvelle végétation pour ne pas gâcher la lumière et la vue des appartements. Ils ont pris une valeur dingue depuis! Là je trouve qu’il y a une échelle qui ne fonctionne pas : trop d’espace non occupé. Faire venir des commerces oui, mais ils ne viendront pas tout seul et à raison. Il faut travailler les pieds d’immeuble et créer des RDC commerçants en linéaire. Là peut être que ça changera la dynamique de la rue. Si l’objectif c’est commerces/terrasses, et bien foncièrement parlant on surveille ce qui bouge et on regarde où on peut glisser des commerces. Si on ne fait pas ça c’est de l’incantation. »

 » Ah, la façade du coeur d’îlot qu’on vient de voir! Ce bâtiment a été ravalé avec un changement des fenêtres il y a quelques années, c’est pas spectaculaire. Mais en effet il est assez élégant ce bâtiment blanc. Pour y revenir je pense que c’est un vrai sujet la question des couleurs, parce que le blanc de la reconstruction il marche vraiment bien. Après ça n’empêche pas de rajouter de la couleur sur les modénatures ou autre, mais ça reste fin. Ce ravalement de façade me fait penser à la Baule. Quand on passe dans la rue parallèle au front de mer c’est pas joli à voir. Les façades donnant sur la mer sont bien traitées, comme ici, mais l’état global de l’immeuble et notamment son cœur d’ilot c’est une autre question. »

 » Le front de mer dans son usage actuel ce n’est qu’un linéaire. Dès qu’il fait beau les gens s’accaparent l’espace public, les kiosques, la place du Commando, l’ensemble marche très bien mais c’était évident! Pour moi le front de mer ce n’est pas ça. C’est une épaisseur, c’est celle du quartier. Et si on n’arrive pas à la travailler on n’arrivera pas à connecter les choses entre elles, à retourner le centre-ville vers la mer. L’autre image de Saint Nazaire est présente ici, elle n’a d’ailleurs jamais bougé. Mais pour faire venir les gens, pour qu’ils renouent avec cette histoire il faut résonner à une autre échelle. Il faut trouver les opportunités qui seraient susceptibles de commencer à raconter quelque chose d’autre et de donner envie… »

« Vous avez vu donc, dans le quartier comme dans la ville il y a beaucoup de locaux vacants, énormément de garages aussi. Trop! Des commerces pourquoi pas, mais il faut aussi s’interroger sur la relation entre ce que pourrait être une avenue telle que celle-ci et la mobilité. Même si la chaussée du front de mer a été rétrécie, ça reste un axe de passage entre l’ouest et l’est. Non seulement c’est agréable mais en plus il n’y a pas de feux ni de priorités à droite, au lieu de passer dans d’autres rues où ça va être contraignant là ça roule tout seul ! Avant que le remblai ne soit refait, c’était la rue de Pornichet qui était l’axe majeur de traverser de la ville. Les bus scolaires y passent toujours, mais c’est plus l’axe principal. »

« Bon et bien pour finir, ici la place des Pots Rouges comme je l’appelle, je ne vous cache pas que je ne l’aime pas. ça se voit comme le nez au milieu de la figure enfin c’est si disproportionné ! Il ne faut pas confier des aménagements comme ça à des routiers. C’est pas possible. Là c’est la preuve qu’il n’y a aucun travail d’ensemble, d’échelle, de proportions de l’espace public. Dans cette ville on manque de points de repères, on aurait pu trouver un élément fin qui à la fois donnait un sens, un point d’accroche pour le regard mais ne cachait pas la visibilité sur la mer. Là on tourne autour des pots rouges avec sa voiture sans voir la mer. Incroyable ! Mais c’est un peu le résumé de ce quartier finalement. »