LA SEBKHA SEJOUMI, UNE RESERVE DENIGREE

Je suis un sac plastique qui jonche le sol de la Sebkha, enfin le bitume brûlant de la route RR37 : une quatre voies, symbole de rupture entre la réserve et les habitants de Sidi Hassine.

Hier Leila m’a jetée là, me laissant, au vent. Je me suis vidé de tout contenu. J’ai alors pu voyager plus aisément. Le long de cette balade, j’ai croisé quelques flamands roses, admirer les oiseaux avant de m’embourber dans un terrible mélange d’eau de terre et de déchets non identifiables. Bloqué ici, j’ai attendu éperdument les premières aurores afin de sécher au soleil pour pouvoir m’envoler de nouveau. je dus supporter une infâme odeur jusqu’à ma libération. Mais ne prenez pas pitié, mon parcours n’est qu’une histoire parmi tant d’autre.

Soudain un camion, un deuxième ! Le premier me fait décoller. Liberté ? Le second fardé de son chargement aux mille pastèques, m’agrippe. Me voilà donc reparti à l’aventure. Aujourd’hui c’est le jour du marché à Sidi Hassine. J’ai hâte de voir cette nouvelle destination. Le camion s’arrête. Il y a un autostoppeur sur la route. Cet homme je l’apprendrai plus tard, c’est Ayoub, l’un des nombreux barbachas de Sidi Hassine. J’en ai croisé plusieurs en échouant sur la Sebkha. Chaque jour il fouille les ordures échouées sur les berges. Evidemment, je ne l’intéresse pas. Ce matin il souhaite atteindre l’une des usines d’El Mghria pour revendre ses trouvailles et profiter un peu lui aussi des produits vendus au marché.

Stop ! Est-ce la fin du trajet ? Non, ce sont les premières secousses de l’agitation du marché naissant. Le camion se faufile à travers cette folle atmosphère me réveillant brutalement tandis que je me laissais bercer par le voyage. Enfin le camion s’arrête. Deux hommes viennent aider à décharger les pastèques. Déjà 20 minutes qu’ils attendaient là, guettant chaque arrivée afin de pouvoir aider au déchargement pour gagner quelques dinars.

Une triste scène m’afflige. Le sac d’une femme vient de se déchirer. La suite est d’autant plus navrante. Elle le jette à présent au sol sans aucun égard et cherche déjà un remplaçant pour transporter ses oranges. C’est ce que je vous disais, mon histoire est banale. Après quelques instants la femme pose son regard sur moi, m’attrape abruptement, m’encombre de ses oranges puis nous nous installons dans un taxi.

Me revoilà de nouveau sur la route. Cette fois je suis trop lourd pour me laisser happer par le vent et le parfum des oranges bien trop intense pour découvrir celui du café. Le trajet est long, nous devons sûrement nous éloigner du centre. J’aurais voulu y rester plus longtemps. Peut-être y retournerais-je demain ?

En sortant du taxi je découvre de nombreuses maisons neuves ou en construction aux portes de la ville. Les habitations poussent parmi les champs d’oliviers dont les terrains sont délimités par des murs en parpaing ou des barrières d’ordures. Finalement, les ordures c’est bien l’élément le plus familier de ces derniers jours et je n’ai plus d’illusion quant aux prochains. Maintenant je le sais. Demain je serai au sol, au bord de la Sebkha quelque part entre la boue odorante et le bitume brûlant.