L’inconnu pédagogique

Ça veut dire quoi ne pas pouvoir aller sur place pour un enseignement qui s’est toujours refusé à penser sans arpenter, à concevoir sans avoir rencontré, ressenti, expérimenté…?

Ça veut dire quoi un enseignement à distance lorsqu’habituellement, on partage le crayon, on tourne autour des planches, on taille dans les images ?

De bien trop grandes questions pour le moment. Alors, on fait quand même, comme on peut. La Visio devient, comme un peu partout, la norme.

Capter quelques traces

Dans un réflexe un peu tardif quelques traces de ces moments sont conservées qu’il est intéressant de regarder pour tenter de comprendre un peu ce qui s’est passé.

Les captures d’écran notamment sont fascinantes. Elles sont faciles à faire et semblent traduirent trop bien l’ambiance, comme une réduction de la complexité des situations. Les cadrages individuels s’assemblent dans un grand tout complexe mais lisible. Ça semble maîtrisé alors que finalement…

Mettre en récit

Finalement, on a beaucoup de mal à se résoudre à accepter que ce moment est à part et qu’il remet en cause certaines certitudes sur ce qu’est un semestre d’enseignement, sur l’égalité des chances entre étudiants, sur l’évaluation…

À l’image du récit suivant, on n’y croit encore à peine.

Récit : « Une semaine inoubliable »

Où que tu sois, tu l’as vécu. Si je dis le 12 Mars 2020, tu te rappelles de cette date. Tu pourras même raconter ce que tu faisais ce soir là. Après tout, ça reste la date du commencement n’est ce pas? Mais avant cela, revenons en arrière, quelques jours auparavant.

Le Mardi 10 Mars, on était tous en studio. Certains travaillaient, d’autres rigolaient. L’ambiance était heureuse puisqu’on était encore en début de semestre de projet. À Nantes, nous avions un studio qui donnait vue sur la Loire. C’était un petit plaisir quand il faisait beau… Mais le temps était nuageux ce jour là.

Ce Mardi, on était assis autour d’une table, en train de travailler. On regardait le reflet gris du ciel se mélanger à la Loire. Il allait pleuvoir. On s’était posé la question suivante : Si l’on pouvait travailler ce semestre dans un autre endroit du monde, où est ce que l’on serait ? Les réponses variaient entre foyer familial, plage, montagne et ferme et pourtant, tous semblaient être bercés par le soleil.

Ce Mardi, la pandémie commençaient à faire de plus en plus de mal en Espagne et en Italie. On ne s’imaginait pas qu’elle allait faire de même à notre pays. Insoucieux, nous n’étions porté que par une idée : la joie de pouvoir voyager à Tunis et profiter de son climat tempéré.

Le lendemain, toujours autour de la table dans notre studio, des chuchotements commençaient à circuler. Le voyage à Tunis allait peut-être être annulé… Sur le moment, cela nous semblait absurde. Les plus avisés nous posaient la question : et si la Tunisie décidait de fermer ses frontières pendant notre voyage ? D’autres répondaient : « On peut toujours être rapatriés ! » Cela bien sûr n’allait pas pouvoir être le cas pour tous les élèves puisque la plupart d’entre nous étaient étrangers. Mais n’empêche, il était quand même improbable que le voyage soit annulé. Après tout, la France n’était pas aussi atteinte par le virus, et la Tunisie n’en plus…

Quelques heures plus tard, vers la fin de la journée, nous recevons un mail de la direction. Ce que nous redoutions le plus était arrivé. La direction interdit tout voyage scolaire en son nom. Outrés, on refusait d’y croire. On avait encore de l’espoir. Certains proposaient de faire le voyage à leurs frais et d’y aller quand même. D’autres étaient furieux de ne pas pouvoir faire ce voyage qui était si important pour leur PFE. L’ambiance du studio s’était totalement bouleversée…

Le matin du Jeudi 12 Mars, on était tous réunis, impatients de savoir ce que nos professeurs allaient nous dire. Regroupés autour d’une table que nous avions préparée pour un petit déjeuner collectif, nous attendions que Pascal nous dise : « On voyage tout de même ». On ne se doutait point qu’à la fin de la journée, la situation allait s’aggraver. Nous avons donc passé la journée à travailler, discuter de nos projets avec nos professeurs.

Bientôt, il était 20h, nous étions encore en studio perchés sur des feuilles de calques et devant des cimaises. Certains étaient déjà rentrés pour écouter le discours du président. A 20h30, lorsque nous avions enfin fini la journée, nous regardons notre téléphone. Alerte générale, le président décide de la fermeture des écoles, crèches, lycées et universités… A ce moment là, nous nous regardions étonnés. Aucun d’entre nous n’avait réellement compris ce qui se passait. On se disait à demain, et pour d’autres, à la semaine prochaine, sûrs de nous retrouver encore une fois dans notre studio.

Nous quittons alors l’école ce soir là, sans réaliser l’ampleur de la situation. Nous allions retrouver nos amis, qui allaient enfin nous tirer du cocon impénétrable qu’est d’être un étudiant en archi, et nous mettre face à la réalité. A partir de lundi, nous n’allions plus pouvoir accéder à l’ENSA.

Le Vendredi 13 Mars, on se retrouve une dernière fois au studio. Certains disent que l’école n’allait pas fermer et d’autres proposent de tous se confiner dans un airbnb pour finir le semestre de projet. Une chose est sure, nous allions profiter de cette journée pour trouver une solution. Les heures passent et nous attendions un mail de l’administration qui allait confirmer ou pas, la fermeture de l’école. Ce ne fut le cas que vers la dernière heure de la journée.

La semaine suivante, le confinement obligatoire a été annoncé. Nul ne pouvait sortir et les étudiants n’allaient plus pouvoir se retrouver. Chacun rejoignait ses proches, pour s’apprêter à vivre presque 2 mois de confinement. On ne se doutait point que ce que chacun avait décris comme lieux idéal de travail allait devenir réalité, ou presque…

On commençait alors à organiser des réunions zooms. Notre quotidien est vite devenu des journées collés à nos ordinateurs et participer à de longues réunions en vidéoconférence.

Nous étions triste de ne pas pouvoir aller à Tunis mais rien ne nous avait apprêté au semestre que l’on allait vivre. Nous avions perdu l’ambiance du studio de projet qui nous motivait à travailler, la présence humaine de nos camarades et l’accompagnement judicieux de nos professeurs en présentiel.

Travailler seul face à son écran fut un challenge que nous devions relever. Ainsi, grâce aux réunions zoom chaque semaine avec nos encadrants, nous avons tout de même pu réaliser plusieurs projets à distance sans avoir mis les pieds à Tunis. On se retrouvait aussi chaque Vendredi après-midi, en zoom, pour discuter de notre semaine, se motiver entre nous et donner des nos nouvelles.

Voici donc un extrait d’un rendu effectué en Zoom.