Fenêtres paysagères

J’aime regarder par les fenêtres de Saint-Nazaire. Lorsque le cadre et le cœur forment une œuvre unique. Lorsque l’air se charge, alourdi les poumons et que, soudain, on comprend : au bout d’une allée piétonne, les silos de Cargill se dressent, vaniteux, entre les bâtiments d’habitation du square Delzieux. La ville leur tourne le dos et les façades nouvelles les ignorent. Alors ils crachent leurs embruns huileux pour que jamais on ne puisse oublier leur présence. Ils se hissent sur la pointe des pieds et se parent d’œuvres d’art pour qu’on les remarque. Si bien qu’on peut encore voir le mirador du terminal céréalier depuis les friches des anciens ateliers de la Mairie, à l’angle des rues Roger Salengro et Fidèle Simon. Lui aussi lutte pour exister, titan de béton que les petites maisons de la Reconstruction snobent. Ce n’est pas volontaire, c’est simplement que dorénavant, elles préfèrent discuter avec leurs nouveaux voisins de l’îlot Jeanne d’Arc. Il y a longtemps, la ville, c’était le port et le port, c’était la ville. Il fallait voir le ballet des ouvriers, à pieds, à vélo, les allers et venues. À un moment, on ne sait plus vraiment quand ni pourquoi, la ville et le port se sont séparés. Il fut décidé que la nuit appartiendrait au port et qu’au lever du jour, les travailleurs des chantiers rejoindraient leur logement en ville. Depuis, la ville et le port ne se parlent plus. Mais de temps en temps, à travers les fenêtres paysagères, ils échangent des regards nostalgiques.