“Vaguer la nuit dans des lumières narratives”

Le jour, Saint-Nazaire somnole. La couverture nuageuse endort les ombres, les façades blanches les dévorent, nos yeux se plissent pour échapper à la clarté ambiante. L’atmosphère, l’énergie semblent égales en tout point de la ville. En hiver, aux alentours de dix-sept heures, le soleil se couche et laisse la ville dans la pénombre, en suspens pendant une demi-heure.  

Puis, c’est la nuit : à l’abri des regards, Saint-Nazaire s’éveille, s’exprime et devient plurielle. Au détour d’une rue sombre, le Paquebot devient un phare. Une pulsation électrique parcourt les façades commerciales des rez-de-chaussée, qui déversent leur flot de lumière crue. Dans les étages supérieurs, les coulisses restent dans l’ombre pour ne pas perturber les spectateurs. À quelques mètres de là, rue d’Anjou, la lueur orangée des lampadaires peint le sol et les murs en sépia. La Place du Commando nous appelle au loin, elle irradie. Anguilles blanches sur nappe rouge. Les Nazairiens sont ici, sous les néons bleus des restaurants et cafés. Ils ne remarquent plus le ballet lumineux qui les enveloppe. Le théâtre est un temple gardé par des totems luisants. Nous les dépassons en direction du boulevard de la Légion d’Honneur, pour entrer dans le territoire des machines. Le souffle des silos chatoie dans la lumière incandescente des néons blafards. Chaque soir et durant toute la nuit, Saint-Nazaire donne inlassablement la même représentation et pour autant chaque fois unique : les phares des voitures à vive allure, les bateaux qui ronronnent sur l’eau, improvisent parfois une scène. Chaque jour, les ouvriers qui partent aux chantiers avant l’aube sont les privilégiés qui, le temps de traverser la ville, assistent des premières loges au dernier acte. Le rideau s’abaisse laissant la salle dans une brève obscurité, les danseuses rejoignent leur loges tandis que le soleil réapparaît, et bientôt c’est le matin.  

La nuit, Saint-Nazaire est belle. Pour qui ? Pour personne, il n’est personne pour la voir. Alors elle parle, elle chante, elle crie. En silence.