Le marché des Halles

À toi mon cher client,  

Je me suis installé à tes côtés au cœur de Saint-Nazaire en 1958. Je suis un quinquagénaire bien portant. La preuve ? Je suis matinal et m’éveille à 5h30, lorsque tu sommeilles encore.

M’as-tu reconnu ? Je suis ton plus fidèle serviteur, les Halles du marché de St-Nazaire.

Mon créateur, l’architecte Claude Dommée, me voulait moderne et fonctionnel, certains me comparent à un monstre d’acier et de béton. Mais toi tu ne vois que ma beauté, tel un vaisseau des mers ou de l’espace. Tu admires mon haut plafond qui forme une couronne de voiles élégantes. D’un côté, tu profites d’un immense puit de lumière et de l’autre, de l’ombre nécessaire aux produits que j’abrite. Des produits, je n’en manque pas, je suis réputé pour en avoir pléthore. Tu devines que tu te rapproches grâce à mon brouhaha croissant. Gris et froid aux premiers abords, lorsque tu me côtoies je deviens bigarré, chaleureux et lumineux.

Je suis cosmopolite : ‘salam, ciao, buenos días, merci, hello, dasvidaniya, gracias, obrigado, spasiba, chokrane’… Le monde entier se retrouve sous mon toit ! Tous tes sens sont en éveil, l’accordéon et la musique rythment tes pas, l’odeur des poulets grillés te met l’eau à la bouche, la vue des montagnes de fruits te fait tourner la tête.

Tu goûtes, tu touches, tu palpes, tu tâtes.

Ici je t’interpelle : “Goûtez mes cerises, approchez, sentez ! “ Des coquilles St-Jacques bien fraîches, une petite dorade, des huîtres ? Ou plutôt un beau poulet fermier et du pâté de campagne ? Homard ou tourteau ? Fruits exotiques ou pommes de terre bio de la région ? Tu ne peux pas résister… Voilà les anguilles toutes en vie, mesdames ! Les anguilles à frire, à frire ! Allez on les finit là ! Allez ! Voilà des beaux poireaux, ils sont pas chers ! Un euro les deux ! Mais qu’est-ce-que tu papotes ! Oop !.. Oyoyoy ! Alors deux euros vingt ! Voilà madame ! Je vous en prie ! Mes-en deux ! Olala ! C’est le dernier. Ca va aller ? Bonne journée ! Merci bien ! Un “ Millionnaire “ s’il-te-plait ! Gagnant par contre ! J’ai oublié de te demander tout à l’heure… Bon courage ! Allez au-revoir ! Oups ! Tu m’as encore dévalisé : je n’ai plus de pièces de deux, de un, de vingt, de dix, de cinq ! Misère… Donne-moi un ou deux euros en pièces de dix !

J’en suis certain, tu ne vas pas partir les mains vides et tu vas revenir mon ami ! Chuuuut ! Laisse-moi me reposer, quatre jours par semaine je ferme et décide d’hiberner. Tu peux alors colorer ce lourd silence avec tes rêves, mes voiles en forme de cônes, ma lumière te transportent dans une lointaine contrée. Tu t’endors là, à mes côtés, dans mes bras.